Harcèlement moral au travail : définition, preuves et dénonciation
Le harcèlement au travail est prohibé par la loi. Moral ou sexuel, ce type de comportement est susceptible d’altérer la santé morale et/ou physique du salarié. Le Code du travail oblige l’employeur à prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir de tels agissements, sous peine d’engager sa responsabilité même s’il est étranger à cette affaire. En pratique, le salarié victime de harcèlement moral, n’est ni épargné de ses collègues, ni de ses supérieurs.
I - Comment caractériser le harcèlement moral au travail ?
1 - Définition
Le harcèlement moral au travail est régi par les articles L1152-1 à L1152-6 du Code du travail et réprimé par le Code pénal en son article 222-33-2 à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende pour le ou les auteurs des faits.
Il se vérifie lorsque le salarié va subir les agissements répétés de nature à engager une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits, sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale et de compromettre son avenir professionnel, que ceux-ci aient été intentionnels ou non. Ces trois critères sont non cumulatifs.
Qui peut être harceleur au travail ?
Les auteurs sont multiples. Par exemple, toute personne interne ou externe à l’entreprise (Cour de cassation, civile, chambre sociale, 6 avril 2011, 10-30.284, Inédit) exerçant une autorité sur l’employé :
- L’employeur,
- Un supérieur hiérarchique,
- Une personne exerçant une autorité de fait sur les salariés (chargé par l’employeur),
- Des clients ou donneurs d’ouvrage dans le cadre d’un contrat de sous-traitance…
Sa hiérarchie peut agir ainsi pour le pousser à démissionner (phénomène de quiet firing ou harcèlement démissionnaire) > Mon patron me met la pression pour que je démissionne.
L’existence d’un lien hiérarchique importe peu puisque même une personne n’ayant pas de lien de subordination avec le collaborateur peut être harceleur : cela peut être alors un collègue ou même plusieurs (on parle alors de harcèlement collectif ou mobbing - le psychosociologue Heinz LEYMANN identifie 45 agissements qui le caractérisent).
2 - Quels sont les signes du harcèlement psychologique en milieu professionnel ?
Le collaborateur harcelé fait l’objet d’agissements répétés de harcèlement moral tels que :
- Des humiliations au travail (brimade, dénigrement) devant le reste du personnel ;
- Des critiques quotidiennes injustifiées ;
- Des menaces ;
- Une agressivité constante au travail ;
- Des tâches dévalorisantes confiées qui sont inutiles ou allant au-delà de ses compétences ;
- Être privé de ses outils professionnels ;
- Mise au placard du collaborateur (isolement)…
EXEMPLE : faire l’objet d’insultes quotidiennes du gérant d’une entreprise, ainsi que de son épouse à l’égard d’une salariée, s’étant vue imposer de surcroît des tâches n’ayant aucun lien avec son contrat de travail, tel le nettoyage des toilettes à l’acide chlorhydrique sont de nature à constituer des faits de harcèlement moral (Cour de cassation, civile, chambre sociale, 6 avril 2011, 10-30.284, Inédit).
Ce type de comportements peut démotiver le salarié, il a le sentiment d’être inutile et d’être écarté de l’entreprise et de ses collègues. Il s’ennuie dans l’exercice de sa profession (bore-out) ou est a contrario continuellement stressé (burn-out).
EXEMPLE : la jurisprudence a pu considérer que ces agissements peuvent entraîner une absence prolongée de la salariée constatée par plusieurs arrêts de travail en raison du harcèlement moral subi. (Cour cass. Civ. Ch. Sociale, 30 janv. 2019, P. n°17-31.473, publié au bulletin).
3 – Sanctions
L’auteur des faits s’expose à quelques sanctions.
3.1 - Sanction disciplinaire
Dès lors que la matérialité des faits est établie, l’employeur, au regard de son obligation de prévention de harcèlement, de protection de la santé, la sécurité de ses employés en entreprise, peut sanctionner le harceleur par une mise à pied, une rétrogradation, une mutation… Dans certains cas, le licenciement pour faute grave peut être prononcé.
3.2 - Sanction civile
Le salarié victime peut agir en justice en saisissant directement le bureau de jugement du Conseil de prud’hommes. Il peut aussi demander au Juge de prononcer la rupture du contrat aux torts de l’employeur. En contrepartie, il peut recevoir des dommages et intérêts.
3.3 - Sanction pénale
Le salarié est légitime à engager des poursuites contre l’harceleur devant le Juge pénal. Contrairement au civil, pour caractériser ce délit, il faut démontrer l’existence de l’élément moral. Le responsable doit être conscient que ses agissements peuvent entraîner chez sa victime la dégradation de ses conditions de travail. (Cass. Crim. 13-12-2016, n° 15-81.853 FS-PB).
II - Que doit faire l’employeur en cas de harcèlement moral au travail ?
L’article L4121-1 du Code du travail dispose que l’employeur doit garantir la sécurité de ses salariés en prenant les mesures nécessaires pour prévenir ce type de risques psychosociaux (ou RPS) : par exemple une formation sur le harcèlement à destination des managers et/ou des représentants CSE… Si malgré tout, l’un de ses salariés en est victime, il a l’obligation de faire cesser cette situation en utilisant tous les moyens en son pouvoir sous peine de se voir condamner pour manquement à son obligation de sécurité. Il doit sanctionner l’auteur des agissements après une enquête objective.
Pour mener à bien ses missions, il peut s’entourer du médecin du travail, qui, dans le cadre de ses prérogatives, apporte son concours à l’employeur en le conseillant sur les dispositions ainsi que les mesures nécessaires de prévention de harcèlement moral en milieu professionnel. (Confère l’article L4622-2 C.trav.).
III - Comment le prouver ?
À qui incombe la charge de la preuve ?
C’est en principe au salarié victime d’établir la matérialité des faits. Et au harceleur le contraire.
Toutefois, il existe un aménagement de la charge de la preuve qui signifie que la preuve ne repose pas entièrement sur le salarié. Selon la jurisprudence, ce dernier peut présenter des éléments de fait laissant présumer l’existence de harcèlement moral. Il revient à la partie défenderesse, par exemple : l’employeur de prouver que les agissements dont le salarié se prétend victime sont justifiés par des éléments objectifs et par ricochet non constitutifs de harcèlement moral.
Quelles preuves permettent de le démontrer ?
Il s’agit de toutes conduites permettant de présumer l’existence de harcèlement moral. Autrement dit, des éléments précis, concordants, suffisants pour mettre en évidence la réalité des évènements de harcèlement moral : témoignages (de collègues), d’écrits, de courriels, courriers, SMS…
IV - Comment se défendre en cas de harcèlement psychologique au travail ?
1 - Recours extrajudiciaires
Depuis le 01 janvier 2020, les attributions de l’IRP, pour instances représentatives du personnel (à savoir les délégués du personnel, le CHSCT, les délégués syndicaux, le Comité d’entreprise) sont dévolues au CSE.
1.1 - Le droit d’alerte du CSE
Le Comité social et économique (CSE) collabore avec l’employeur dans le cadre de la prévention de harcèlement moral en entreprise. Il prend des initiatives qu’il juge utile pour mener à bien sa mission. Il peut aussi être informé des cas de harcèlement moral et toutes questions en lien avec le harcèlement.
1.2 - Consulter le médecin du travail
Il s’agit d’un interlocuteur à privilégier en cas de souffrance au travail qui est tenu au secret professionnel. Vous pouvez le solliciter directement, ses coordonnées sont affichées obligatoirement dans l’entreprise.
1.3 - Saisir l’inspection du travail
L’inspection du travail peut être saisie pour des faits de harcèlement moral et peut même assister le salarié durant la transmission de son dossier en justice. Une fois averti, un agent de contrôle est dépêché sur les lieux afin de mener son enquête et confirmer ou infirmer les faits. Si ceux-ci sont avérés, cela peut donner lieu à des recours en justice.
2 - Recours en justice
La victime peut :
- Soit saisir pénalement le Juge, auquel cas dans un délai de 6 ans ;
- Soit le Juge civil, notamment le Conseil de prud’hommes dans un délai de 5 ans à compter du dernier agissement fautif.
2.1 - La médiation
Avant toute saisine du Conseil de prud’hommes, le salarié victime peut envisager de régler le différend par médiation. Les parties s’entendent sur le choix du médiateur. Et si la conciliation échoue, il revient à ce dernier d’informer les parties des éventuelles sanctions encourues, ainsi que des garanties procédurales en faveur de la victime (confère l’article L1152-6 du Code du travail).
2.2 - La saisine du Conseil de prud’hommes
Ce recours est possible soit parce que l’employeur ne réagit pas à la suite de la dénonciation pour des faits de harcèlement, soit parce qu’il en est lui-même l’auteur. Il revient au Juge de se prononcer en fonction de la requête du salarié. Par exemple, pour une demande de résiliation judiciaire du contrat (suite à la prise d’acte de rupture du contrat), la cessation des agissements fautifs, sa réintégration,…
2.3 - Dépôt de plainte
Le salarié peut engager la responsabilité pénale de l’harceleur devant le Juge pénal par le dépôt d’une plainte. Il doit se constituer partie civile pour prétendre aux dommages et intérêts.
3 - La prise d’acte
Le salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail pour des actions de harcèlement moral dès lors qu’il reproche à son employeur des manquements suffisamment graves pouvant empêcher la poursuite de ce contrat.
V - Quelles sont les indemnités auxquelles peut prétendre le salarié harcelé moralement ?
Cas d’un licenciement nul suivant la dénonciation pour des faits de harcèlement moral en lien avec le licenciement :
-
Hormis la réintégration possible du salarié dans l’entreprise, il a droit à des indemnités. S’il refuse la réintégration, il pourra obtenir des dommages et intérêts résultant de son licenciement nul, représentant a minima 6 mois de salaire ;
-
Des indemnités spécifiques en lien avec son harcèlement moral, par exemple, le préjudice moral subi ;
-
Des dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur (article L4121-1 Code du travail) ;
-
Le remboursement de frais médicaux ;
-
L’indemnisation pour maladie professionnelle/accident de travail. Avec un cumul possible d’un dédommagement pour harcèlement moral et indemnités versées suite à un accident de travail (arrêt 4 septembre 2019), mais n’est pas de droit. Il faut démontrer l’existence de deux préjudices distincts nécessitants chacun un dédommagement : tel un préjudice moral suivant les agissements de harcèlement moral et l’accident de travail du fait du harcèlement moral. Car, en pratique, un accident de travail/maladie professionnelle est pris en charge au titre de l’AT/MP (Compte Accidents du Travail et Maladies Professionnelles) de façon forfaitaire.
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