Les chauffeurs Uber et le droit du travail
Récemment, plusieurs actions en justice ont été intentées contre la société Uber.
D’une part, plusieurs chauffeurs Uber ont intenté une action en requalification de leur contrat Uber en contrat de travail, ces derniers estimant être des salariés de cette entreprise. D’autre part, l’URSSAF a introduit une action à la rentrée 2015 afin de faire reconnaître les contrats des chauffeurs Uber en CDI.
Aux Etats-Unis, des chauffeurs Uber ont intenté une class action en requalification de leur contrat en contrat de travail et la société Uber a versé une transaction de 100 millions de dollars pour éviter toute condamnation.
La requalification d’un contrat de taxi en CDI
Dans l’arrêt Labbane, les juges ont requalifié un contrat de « location de véhicule équipé taxi » en contrat de travail (Cass. Soc. 19 décembre 2000, Labbane).
Dans cet affaire, la société a soutenu qu’il n’existait pas de contrat de travail étant donné que les chauffeurs avaient une totale liberté dans l’organisation de leur travail et que la société ne donnait aucun ordre direct aux chauffeurs (pas d’instruction sur les horaires, le lieu de l’activité, la clientèle, etc).
Pour se déterminer, les juges s’appuient sur trois critères majeurs afin d’établir s’il existe ou pas une relation de travail (Cass. Soc. 13 novembre 1996, Société Générale) :
- Une prestation de travail
- Une rémunération (qu’elle soit fixe, variable, en chèque, en liquide, …)
- Et le critère essentiel : un lien de subordination. Les juges prennent en compte plusieurs indices pour déterminer s’il existe un lien de subordination : est-ce que l’entreprise donne des ordres et des directives ? Est-ce que l’entreprise peut en contrôler l’exécution ? Est-ce que l’entreprise peut sanctionner le subordonné en cas de manquement ? Est-ce qu’il existe une dépendance économique du subordonné ? etc
Les juges s’appuient donc sur les circonstances de fait pour savoir s’il s’agit ou non d’une relation de travail.
Dans l’arrêt Labbane, la Cour de cassation a estimé que les chauffeurs étaient dans un état de subordination à l’égard de la société en prenant en compte les indices suivants : les chauffeurs avaient l’obligation d’opérer un entretien et un nettoyage quotidiens du véhicule en utilisant les installations de l’entreprise, la visite technique devait s’opérer dans un atelier choisi par la société, etc). Elle a ainsi admis la requalification de leur contrat de chauffeur en CDI.
Dans le cadre des contrats qui lient les chauffeurs à Uber, certains indices permettraient de soutenir qu’il existe un lien de subordination.
En effet, chez Uber, il existe un système de notation des chauffeurs. Lorsque la note est jugée trop basse, les chauffeurs Uber reçoivent un mail de rappel à l’ordre, qui pourrait s’apparenter à une sanction disciplinaire.
Uber a également la possibilité d’écarter certains chauffeurs ayant une note jugée trop basse ou si la société Uber estime que ces chauffeurs ne réalisent pas suffisamment de courses. Ces mesures pourraient se rapprocher d’une procédure de licenciement que les chauffeurs auraient la possibilité de contester.
Par ailleurs, les chauffeurs Uber ne choisissent pas librement les tarifs pratiqués pour leur prestation, ces tarifs étant fixés par la société Uber. Or, la liberté d’entreprise, du commerce et de l’industrie voudrait que tout indépendant ait la possibilité de fixer lui-même le montant de ses prestations.
De plus, Uber applique automatiquement une majoration tarifaire lors des périodes de forte demande, ce qui incite les chauffeurs à se connecter sur la plateforme. Ce type de mécanisme pourrait peut-être s’apparenter à l’application d’une prime exceptionnelle versée aux chauffeurs.
Pour certaines entreprises de livraison de repas, comme Deliveroo, les livreurs ont également un statut d’indépendant. Toutefois, la question de l’existence d’un lien de subordination se pose au vu des indices suivants : obligation de porter un uniforme Deliverro, la société impose que le livreur travaille 3 jours par semaine, y compris le week-end, les livreurs doivent effectuer leur prestation dans un délai imposé par Deliveroo, …). Certains livreurs pourraient donc à l’avenir entreprendre une action en requalification de leur contrat en CDI.
Quelles seraient les conséquences d’une telle requalification pour les chauffeurs Uber ?
Le paiement d’une indemnité au titre du travail dissimulé
Dans le cas où le chauffeur voit son contrat requalifié en CDI et que ce contrat a été rompu, il peut demander une indemnité forfaitaire de 6 mois de salaire (articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du Code du travail).
L’application du statut du salarié
Le chauffeur Uber qui aura vu son contrat requalifié en CDI pourra se prévaloir de :
- Congés payés : 2,5 jours ouvrables acquis par mois
- SMIC : le salarié a le droit à une rémunération au moins égale au SMIC et à un rappel de salaire sur la base du SMIC pour la période travaillée
- Mutuelle d’entreprise : elle doit être obligatoirement proposée par l’employeur depuis le 1er janvier 2016
- Visite médicale à la médecine du travail : visites médicales d’embauche et périodiques
- En cas d’arrêt maladie : le salarié pourra prétendre à des indemnités journalières de sécurité sociales (versées par la CPAM) et à un complément de salaire (s’il remplit les différentes conditions d’octroi)
- En cas d’accidents de trajet, accidents de travail et maladie professionnelle : le salarié pourra bénéficier de tous les droits applicables en cas de survenance d’un de ces évènements (obligation de déclaration sous 48h par l’employeur, prise en charge des frais de soin, visite de reprise à la médecine du travail, …)
- Respect des durées maximales de travail quotidiennes et hebdomadaires
- Respect du droit au repos quotidien et hebdomadaire, etc
La possibilité de contester la rupture du contrat
Dans le cas où le chauffeur Uber voit son contrat requalifié en CDI et que ce contrat a été rompu par l’entreprise, ce dernier a la possibilité de contester cette rupture qui s’analyse en un licenciement. Le salarié pourra alors réclamer les indemnités suivantes (sous réserve qu’il remplisse les conditions d’octroi) :
- Une indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse
- Une indemnité au titre du non-respect de la procédure de licenciement
- Une indemnité de préavis
- Une indemnité de licenciement légale ou conventionnelle
- Une indemnité compensatrice de congés payés
En cas de manquement à la législation en vigueur, il est possible d’adresser une mise en demeure à son employeur, en passant par le site SaisirPrud’hommes.com.
En cas d’absence de réponse ou de réponse insatisfaisante, le chauffeur pourra saisir le Conseil de Prud’hommes par l’intermédiaire du site SaisirPrud’hommes.com.
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